Histoires de stades et de tribunaux

Justice

Charlie Hebdo : Les maux des survivants

(© - Alexandre Sarkissian).

Au cinquième et sixième jour du procès des attentats de janvier 2015 commis à Paris et Montrouge, la parole a été donnée aux témoins de la tuerie perpétrée dans l’immeuble de la rue Appert. Parmi eux, les survivants de Charlie Hebdo.

L’intense témoignage de Jérémy encore dans les têtes, la Cour a écouté mardi et mercredi celles et ceux que l’on peut appeler les survivants de la tuerie de Charlie Hebdo. Dans cette deuxième semaine du procès des attentats de janvier 2015 de Paris et Montrouge, l’émotion était toujours aussi vive et plus encore avec l’enchaînement de témoignages bouleversants. En voici quelques moments choisis.

Mercredi 9 septembre 2020
Simon FIESCHI est entré en 2012 à Charlie Hebdo comme webmaster.

Il s’avance à la barre aidé par une béquille mais tient à rester debout pour témoigner. Le 7 janvier 2015, il est touché d’une balle à l’arrivée des terroristes dans le hall des locaux, après que Corinne Rey, « Coco », a déverrouillé la porte, menacée par un fusil dans le dos.

« La porte s’ouvre extrêmement violemment, une déflagration, je me souviens entendre « Allahou Akbar ». J’ai une vision où je tombe, je perds connaissance, ce qui m’a sûrement sauvé la vie, puis je me réveille. C’est le silence, j’ai une grande difficulté à respirer. »

« J’ai demandé aux secours ce qu’il s’était passé, si les autres allaient bien. J’ai vu à leurs visages qu’il y avait quelque chose de graveJ’étais conscient quand on m’a amené à l’hôpital de la Salpêtrière, on m’a plongé dans le coma. Le 7 janvier s’arrête là pour moi. J’apprendrai ce qui s’était passé une semaine après, à la fin du coma. »

« Cette balle ne m’a pas raté mais elle ne m’a pas eu. »

Il subit des conséquences sensorielles, des pertes de sensibilité au niveau des mains et des jambes, perte de la motricité de la main gauche. Il ne parle plus avec la même force. On s’en rend compte ce mercredi matin devant la cour spécialement composée.

Comment se reconstruit-on ? « Voir le verre à moitié plein : je suis vivant. C’est un effort de tous les jours, physique et psychique. Je n’ai plus de travail à plein temps, et ça me donne le sentiment d’insécurité lié à cette dépendance. »

« J’entends que nous sommes des rescapés, je trouve ça drôle, comme si on en avait échappé. Je n’ai pas ce sentiment. Je suis plutôt un survivant… Cette balle ne m’a pas raté mais elle ne m’a pas eu. Je dirais la même chose pour le journal. »

9 septembre 2020

Fabrice NICOLINO. Journaliste, il entre en 2009 à Charlie Hebdo. Il s’occupe d’écologie.

Il s’avance également avec l’aide d’une béquille. « J’ai été victime d’un attentat auparavant (1985, revendiqué par le djihad islamique, ndlr), cela m’a peut-être aidé ce jour-là. Au moment où j’ai vu la porte s’ouvrir, je me suis projeté en arrière. J’ai reçu trois balles, aux jambes, à l’abdomenAprès, c’est le trou noir, le périple hospitalier comme tout le monde. » 

« Je me sens moins touché que Philippe Lançon (autre blessé ce 7 janvier, il n’a pas souhaité venir témoigner) mais je suis diminué. Les conséquences ? Je n’ai pas envie d’en parler… Je pense plutôt à Simon (Fieschi), à Philippe et à mes amis morts. »

Le premier assesseur de la Cour l’interroge sur le coquelicot accroché sur son tee-shirt, au-dessus du coeur. Fabrice Nicolino affiche un large sourire, peut-on deviner malgré le masque. Il y a de la joie dans sa voix. « Oui, je vais vous en parler. Charlie, ce n’est pas qu’une ambiance de mort, les attentats et l’islamisme ». Il explique avoir lancé un mouvement dédié, entre autres, à la lutte contre les pesticides, « c’est un appel à la vie. »

Puis questionné par Richard Malka, l’avocat de Charlie Hebdo, au sujet de l’islamisme, Fabrice Nicolino rappelle sa haine du totalitarisme, évoquant le nazisme et le stalinisme., « la négation de la liberté. Le terrorisme islamiste, c’est aussi du totalitarisme. Il veut occuper l’espace jusqu’à la mort de ses opposants. »

L’intervention du conseil du journal satirique donne ensuite l’occasion au témoin de transformer la barre en une tribune au cours de laquelle il va notamment pointer du doigt ceux qu’il considère comme des opposants à Charlie. A commencer par Edwy Plenel, la patron de Mediapart, et sa réaction à une caricature en une de Charlie Hebdo au sujet de l’affaire Tariq Ramadan.

« Il a osé comparer le dessin à l’affiche rouge de 1944 (propagande allemande sous l’occupation en France). Il a dit que Charlie menait une guerre aux musulmans, cela veut dire que tout est permis en retour. Et je n’en reviens pas », s’emporte Nicolino. Des gens ont refusé de voir l’évidence, ils ont préféré colporter la calomnie, incapables de voir le totalitarisme en face d’eux. Ils ne sont pas bien sûr directement responsables des attentats mais ils ont participé à la préparation psychologique de cette affaire. Jamais on ne leur pardonnera. »

Mardi 8 septembre 2020.
Corinne REY, surnommée COCO. Elle est dessinatrice du journal.

A la fin de la conférence de rédaction du 7 janvier 2015, elle descend fumer une cigarette avec une collègue. C’est à ce moment qu’elle est braquée par les terroristes. Ils la forcent à remonter dans les locaux et fusil dans le dos, elle est contrainte de déverrouiller le digicode.

« Je me suis sentie coupable mais les coupables sont les Kouachi et leurs complices. Les coupables sont l’islamisme et leurs complices dans la société qui baissent leur froc. »

8 septembre 2020
Sigolene VINSON. Avocate de formation, elle s’occupait à l’époque d’une chronique judiciaire dont la première a été publiée en septembre 2012. Un mois plus tard, elle assistait à sa première conférence de rédaction. « A partir de là, je n’ai plus raté une.. (silence, très émue) une conférence de rédaction. »

La jeune femme se souvient qu’en ce 7 janvier 2015 il régnait une atmosphère assez joyeuse et animée. « C’était l’anniversaire de Luz, Tignous préparait le café, Cabu était avec ses invités. »

8 septembre 2020
Laurent LEGER. Journaliste d’investigation, il débute sa collaboration avec Charlie Hebdo en 2009. Il est également présent pour la conférence de rédaction.

« Je n’ai jamais connu une telle liberté d’écriture et pourtant j’ai connu quelques rédactions avant. J’ai une mémoire fragmentée, encore aujourd’hui, de ce qu’il ‘est passé le 7 janvier. Je ne sais même plus si j’ai fait le bouclage deux jours plus tôt. »

« Je me souviens de Cabu, très en colère contre Houellebecq, on a parlé des banlieues (les jeunes Français qui partaient faire le djihad, ndlr). A la fin de la conférence, on entend des pétards, pour nous c’était des pétards. »

« Une porte s’ouvre. Tout va très vite. On crie  » Allahou Akbar  » et apparaît un grand homme qui prend toute l’embrasure de la porte. Je comprends qu’on est attaqué… Je me retrouve sous une table, recroquevillé. »

L’image qui revient souvent chez Laurent Léger est celle de Georges Wolinski qui gît à terre, pris de spasmes. « Ils voulaient tous nous avoir, ils voulaient effacer le journal. » Après un long arrêt de travail, il est parti exercer son métier ailleurs.

Il estime que le 7 janvier 2015 est la concrétisation des menaces que le journal avait reçues depuis plusieurs années. Il rappelle le cocktail Molotov lancé dans la rédaction dans la nuit du 1er au 2 novembre 2011 causant l’incendie de la rédaction. « Quatre ans plus tard, c’est les kalachnikov, la suite logique. »