Histoires de stades et de tribunaux

Justice

Ali Polat dans des eaux troublées

(© - Alexandre Sarkissian).

Sous le coup d’une peine de perpétuité, Ali Riza Polat a été interrogé lundi, au 41e jour du procès des attentats de janvier 2015. L’accusé principal a été confronté à quelques zones d’ombre, comme les raisons de ses tentatives de départ à l’étranger après les tueries de Paris et Montrouge.

Régis de Jorna avait son plan bien établi, avec le risque qu’il ne se déroulerait pas sans accroc. Avec Ali Riza Polat en face de lui, le président de la cour d’assises ne nourrissait pas grand espoir d’attraper cette anguille vivace. Très doué dans les magouilles et le business (*), comme il s’en est vanté ce lundi à la barre, le natif d’Istanbul pratique aussi visiblement l’art de l’embrouille. Son échange avec le président, ce lundi au 41e jour du procès, a démontré que l’anguille pouvait parfois noyer le poisson.

Seul accusé à risquer la réclusion criminelle à perpétuité pour complicité des crimes et délits commis par Amedy Coulibaly et les frères Kouachi, en plus du chef d’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste (AMT), Ali Polat s’est montré fuyant sur certaines parties du dossier. La Cour a voulu savoir pourquoi l’homme de 35 ans avait griffonné une liste (projetée à l’audience) en rapport avec des armes sur laquelle on pouvait lire : Prix de 200 g de C4 ? Prix de 1 kg de C4 ?… Balle de kalash 500 pièce ? Balle, le 9 mm 100 pièce

L’accusation soupçonne ces éléments de se trouver en lien avec l’arsenal dont disposait les terroristes. Bien sûr que non, coupe Ali Polat : « Je ne suis pas un trafiquant d’armes, les armes, c’était pour moi. » Polat avait des envies de fourgons blindés. « Si vous vouliez attaquer des banques, pourquoi commander des Kalachnikov ? » « Mais, personne n’allait tirer sur personne. » « Alors pourquoi commander des balles de 9 mm ? »

Le président a soulevé une autre petite incohérence dans ce listing de courses très particulières. Que faisait la liste chez Metin Karasular, un des co-accusés et garagiste de Charleroi spécialisé, entre autres, dans le trafic de stupéfiants ? Un couteau-suisse ce Belge, répond Ali Polat. « Je lui ai demandé de se renseigner. » On le prie après de justifier ses inspirations de voyages après les attentats. Son passeport, découvert scotché sous une table lors d’une perquisition, témoigne d’un séjour en Thaïlande du 22 au 25 janvier 2015.

A sa mère, appartenant à la communauté des Alévis, Ali Polat raconte qu’il part voir un ami malade. « Vous lui avez demandé des nouvelles de cet ami au retour ? », s’interroge Régis de Jorna. Non, répond la maman de l’accusé, entendue dans l’après-midi. Celle qui l’avait accompagné dans la nuit à l’aéroport de Roissy, direction l’Asie du sud-est, lui avait également donné 800 euros pour son billet d’avion. Elle n’a pas toujours été aussi dévouée.

On lui rappelle cette conversation avec une amie auprès de laquelle elle s’était confiée. Ali Polat, à l’étage en train de prier, l’avait qualifiée un jour de perverse et de mécréante. « Ça veut dire quoi mécréant ? » La maman n’a plus de souvenir de ce coup de téléphone.

« Je n’étais pas croyant et un jour je suis devenu croyant, c’est tout. » Voilà comment Ali Polat s’est converti. Des membres de sa famille étaient curieux sur le sujet. « J’ai répondu, lis le Coran, tu comprendras. » Mais il n’a jamais dit qu’il fallait lire le Coran, s’empresse-il de rajouter. Son frère, questionné dans l’après-midi, évoque de son côté un rêve dans  lequel l’accusé était invité par un ami musulman à suivre les voies de l’Islam.

Sa maman n’était pas favorable à ce changement d’idéologie : « Je crois au Bon Dieu mais je ne crois pas aux religions, quand on voit ce qu’il se passe. » Mardi, une deuxième journée sera consacrée à l’accusé principal du procès.

* : Il est sorti de prison, le 5 avril 2014 suite à une condamnation prononcée le 27 août 2012 à 3 ans d’emprisonnement pour importation, détention et trafic de stupéfiants.