Histoires de stades et de tribunaux

Justice

« Logeur de Daesh », 5e jour du procès en appel

Salle de l'ancienne 16e chambre correctionnelle du TGI de Paris (Alexandre Sarkissian).

L’audition de Jawad Bendaoud s’est poursuivie jeudi 29 novembre, au cinquième jour du procès en appel dit du « logeur de Daesh ». Face aux avocats des parties civiles, celui qui risque six ans de prison a persévéré dans sa théorie du « pas su, pas pris ».

On l’avait quitté la veille, après un montée dans les tours qui avait contraint le président à une suspension d’audience, avant qu’il ne revienne dans de meilleures dispositions, apaisé, si l’on peut dire, une fois encore par son avocat. Jawad Bendaoud est réapparu jeudi, avec un survêtement noir pailleté, pour répondre aux interrogations des avocats des parties civiles, principalement orientées vers cette stupéfiante capacité dont a fait preuve le jeune homme en novembre 2015, prisonnier de sa bulle. Alors que toute la France, pour ne pas dire le monde entier, ne parlait que des attentats du 13 novembre, il ne savait rien, ou si peu.

Jawad Bendaoud entend la déflagration venant du Stade de France, rentre chez ses parents où son père lui parle des attentats devant la télévision. « S’il m’avait dit qu’il y avait des gars en fuite, peut-être mais il me parle de Pakistanais, d’Al-Qaida et qu’ils étaient tous morts, qu’ils s’étaient fait exploser », se défend le « Logeur de Daesh ». En aucun cas, il fait le rapprochement , dit-il, avec Abdel Hamid Abaaoud et Chakib Akrouh, deux des terroristes qui occupent son squat de la rue du Corbillon à Saint-Denis. Il ne s’interroge pas sur le lien éventuel et se désintéresse alors à ce qui préoccupe au plus haut point un pays entier.

Coupé du monde

Il jure devant la cour qu’entre le vendredi 13 au soir et le 18 au petit matin, jour de l’assaut du RAID et de son interpellation, il ne sait rien. Jawad Bendaoud se trouve dans un monde parallèle où le petit écran a disparu. « Il y a une seule télé chez mes parents, dans le salon. Dans ma chambre en 2015 il n’y avait pas de télé. Et s’il y en avait une, elle ne marchait pas. Chez ma compagne, je n’ai jamais regardé la télé… J’ai fait 14 ans de prison, je regardais la télé tout le temps, j’allais pas le faire en sortant, non ? » Après avoir soutenu qu’il n’avait vu personne pendant tous ces jours, trop défoncé (il a évoqué jeudi la prise fantastique de 35 à 40 grammes de cocaïne, couplés avec 15 à 20 g de cannabis), il reconnaît finalement rencontrer plusieurs personnes, « pas beaucoup, des clients de deal », après le 13 novembre. Personne, en tout les cas, qui lui fasse comprendre la situation; « J’étais coupé du monde, je n’avais aucune info, et pas que quelqu’un était en cavale. »

Totalement isolé et scoumounard en plus « Je suis sorti cinq fois de chez moi, pour vendre de la drogue ou aller au tabac, et je n’ai eu aucune discussion sur les attentats, rien. Tous les gens avec qui j’étais, on n’en a pas parlé, c’est pas de chance », à l’image de son voisin du dessous avec lequel il passe une bonne partie de la soirée du 16 « à fumer des joints. » Le gérant d’un pizzeria  a témoigné que Jawad Bendaoud a passé 20 minutes dans son établissement, le 13 ou le 14, dans lequel les JT tournent en boucle. Le son est suffisamment fort pour ne laisser quiconque indifférent. Sauf Bendaoud.

Parmi les gens avec qui il se trouve en contact, il y a Mohamed Soumah, l’intermédiaire entre Hasna Aït-Boulahçen et Jawad Bendaoud pour loger le cousin (Abaaoud) de cette dernière. Ils auraient pu parler des attentats, tente une autre avocate des parties civiles. « Pas du tout, s’il m’en avait parlé, je m’en souviendrais… » Oui, bien sûr. Devant l’insistance de la huitaine des personnes en robes noires s’étant succédées jeudi après-midi, Bendaoud admet avoir abordé le sujet avec sa compagne, Laura K., le samedi 14 novembre: « Oui bien sûr on en a parlé mais pas de gars qui étaient en cavale, j’ai d’ailleurs dit que ces gars c’était des malades. »

La mémoire lui revient. Jawad Bendaoud confesse un peu plus tard qu’il a peut être dit effectivement au gars de la pizzeria que ses « locataires » venaient de Belgique, et qu’ils semblaient louches mais « cela ne veut pas dire que c’était des terroristes… » Devant ces versions à multiples variantes, un avocat demande « A quel moment doit-on vous croire ? » « Quand je vous dit que je suis innocent, que je ne savais pas que c’était des terroristes ». Vendredi, il fera face à l’avocate générale.

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