Histoires de stades et de tribunaux

Justice

« Il y a eu un effet de groupe à Lunel et j’y ai participé »

(Crédit: Alexandre Sarkissian)

S’il reconnaît sa radicalisation, Jawad S. a nié lundi avoir poussé des gens au djihad ou au départ en Syrie, au troisième jour du procès de la filière de Lunel.

C’est son axe de défense.  Jawad S. avoue sans forcer s’être radicalisé en 2014, et pas avant, ce qui suscitera les interrogations de la cour. Mais jamais, « Je vous jure madame la présidente », il a incité au djihad ou au départ en Syrie. Toute l’après-midi de lundi, ce trentenaire va le répéter. Il veut bien reconnaître avoir tenu un discours salafiste, « littéraliste », selon ses mots à la barre, quand il s’adressait à des jeunes adultes de Lunel, dont une partie a rejoint la Syrie, lors d’« assises » (réunions religieuses en dehors des séances de la mosquée), mais il réfute toutes paroles prônant le djihad armé. Encouragé généreusement par son avocat, Me Nogueras, l’homme de 33 ans admet enfin que ses propos aient pu trouver écho chez certaines personnes. A cette époque dans la petite ville de l’Hérault, ils sont près d’une vingtaine à rejoindre la zone irako-syrienne.

Jawad S dit s’être formé religieusement notamment auprès de de l’association PSM (Participation et spiritualité musulmane, interdite au Maroc) et de l’imam de Lunel, et raconte avoir basculé dans la radicalisation par une forte consommation d’Internet et la fréquentation d’Hamza Mosli, autre prévenu assis dans le box de la 16e chambre correctionnelle de Paris. Jawad S. minimise ensuite l’influence de ce dernier. Son divorce constituerait le déclencheur: « Cela m’a fait perdre mes repères, je n’avais plus de confiance, plus d’objectivité, j’étais perdu. C’est une période dont je ne suis pas fier.» Jawad S., retourné vivre chez sa mère après sa séparation en 2012, donne des cours de religion qui s’arrêtent, fait remarquer la cour, au moment des premiers départs en Syrie à Lunel, confirme à la barre Mosli, soupçonné de recrutement en faveur de l’Etat Islamique pour lequel ses deux frères et un ami, Raphaël, s’étaient engagés avant d’être tués.

« Je n’avais plus d’objectivité, j’étais perdu »

La présidente insiste pour comprendre pourquoi Jawad S. prend subitement ses distances au moment de son arrestation le 27 janvier 2015. Pourquoi, en garde à vue, il condamne les attentats contre Charlie Hebdo et ceux de la Porte de Vincennes, quelques jours après s’en être réjoui dans une conversation téléphonique ? « J’ai eu un comportement lâche, je n’assumais pas mes idées » Avant d’être interpellé, il les assumait pleinement, comme dans une conversation de pus d’une demi-heure où il veut convaincre son interlocutrice du bien fondé de la pensée sunnite. Il légitime Al Baghdadi, rappelle la présidente. « Je me souviens pas de cette conversation », répond le titulaire d’un Bac pro.

Il ne sait pas non plus pourquoi il a dit « Ça fait trois ans que je suis là-dedans ».  « Dans quoi ? », appuie la présidente. « Dans la religion… Je légitimais le djihad au téléphone, je faisais le beau. Je m’inventais un rôle, je voulais être un « sachant-tout ». « J’avais une soif d’existence auprès des autres », lui fera dire encore son avocat. L’explication n’emballe pas la cour face à qui Jawad S ne retient pas ses larmes quand on lui demande pourquoi il n’a pas voulu lui aussi rejoindre la Syrie à l’époque. « Vous étiez le candidat idéal. », estime une des magistrates. « Je ne suis pas parti par attachement à mon pays, à mes amis. Je suis Français. ». Il évoque également un phénomène de schizophrénie, tiraillé entre le besoin de ses proches et la radicalisation. « J’ai tenu des propos mais je ne les pensais pas », lâche-t-il encore au milieu d’un argumentaire laissant perplexe l’accusation.

« Il y a eu un effet de groupe à Lunel et j’y ai participé », explique encore celui qui est soumis à un contrôle judiciaire depuis mars 2017, date de sa sortie de prison. Jawad S. assure aujourd’hui avoir fait un travail sur lui-même, avec un psychologue. Le réquisitoire du procureur de la République est prévu pour mardi.

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