Histoires de stades et de tribunaux

Justice

« Qu’ils me regardent dans les yeux, je saurai s’ils disent la vérité. »

Bilal Bley Mokono, une des victimes des attentats du 13 novembre 2015 perpétrés au Stade de France, a témoigné à la barre. (Crédit: Alexandre Sarkissian).

Voici l’intégralité du Live Tweet assuré mardi 30 janvier 2018, au cinquième jour du procès dit du « logeur du 13 novembre ». L’intervention de Bley Bilal Mokono a été un moment fort des témoignages des parties civiles.

Evacuons tout de suite le point vestimentaire concernant Jawad Bendaoud, cela intéresse visiblement du monde. Celui qui a logé deux terroristes des attentats du 13 novembre 2015 porte un blouson de toile noir, Mohamed Soumah un haut de survêtement gris.

Plus sérieusement, la cinquième journée du procès donne la parole aujourd’hui aux parties civiles. S’avance à la barre un témoin qui demande des dommages et intérêts. Son fils est décédé au Bataclan.

Le père de famille rapporte les dires des autorités et experts qu’il a rencontrés. Les blessures des victimes du 13 novembre n’ont pas été causées uniquement par balles ou éclats de verre, mais aussi par arme blanche. « Jawad Bendaoud ne pouvait que connaître les terroristes », dit-il ensuite. Le prévenu ne bronche pas.

La personne suivante a également perdu son fils, 37 ans à l’époque. Cette mère témoigne de la terrible douleur qu’elle vit au quotidien depuis les attentats. « C’est pour sa mémoire, je lui dois ça. Il m’aidait pour tout ».

Cette veuve raconte que son fils a été tué de sept balles. « Je suis là depuis le début du procès. Je voulais les voir en face. Ils ne l’ont pas tué mais ils ont logé des terroristes… Ces personnes représentent un danger pour la société, Madame la présidente.» « La troisième personne, si elle est musulman, un vrai musulman, elle aurait dû prévenir la police. »

« Jawad Bendaoud ne me fait pas rire… »

Patrick arrive à la barre. Sa fille a perdu la vie le 13 novembre. « Je voulais être là car on n’écoute jamais les victimes »  « Jawad Bendaoud ne me fait pas rire… Il se plaint de ne pas pouvoir voir sa fille à cause de la prison. Mais je n’ai pas de compassion, j’ai la haine. Moi aussi, je suis en prison, jusqu’à la fin de ma vie. »

Patrick: «Ma fille Nathalie, c’était la joie de vivre. Depuis la mort de sa maman en 2004, elle ne vivait que pour la musique. C’est pourquoi elle était au Bataclan, pour  s’occuper de la lumière.»

Une autre proche de victime (ses deux soeurs): « Ce qui me frappe, c’est la légèreté avec laquelle M. Bendaoud et Soumah prennent ce procès. Il y a un minimum de respect à avoir, un minimum de compassion. »

Mme G. arrive à la barre, un regard vers le box des prévenus. « A l’hôpital Bichat mon mari agonise pendant que l’on cache des gens à Saint-Denis…12 personnes sont autour de lui pour le transférer à l’hôpital, tellement il y a de machines branchées. L’agonie, puis sa mort le 19 novembre. »

Bley Mokono, blessé par un kamikaze au Stade de France le 13 novembre, arrive en fauteuil roulant: « J’étais garde du corps, 1,95m, 125kg, je pouvais protéger les gens… Ce soir-là, France-Allemagne avec mon fils, je me suis dit que j’allais me manger une merguez à la bonne franquette… J’ai croisé un individu, puis un deuxième, je me suis dit: « C’est un règlement de comptes

« Je prends une bouteille d’eau… et boum, le corps éclate» 

Mokono, la voix forcément sanglotante: « Aux toilettes, je revois le deuxième individu. Je cherchais le contact, par réflexe… A la buvette, je mange mon sandwich, je prends une bouteille d’eau… et boum, le corps éclate. » Son récit impose l’émotion.

Mokono raconte avoir perdu son cousin dans les terrasses. En parlant des prévenus: « Je voudrais qu’ils s’expriment et qu’ils assument… Qu’ils restent en prison, ça ne changera rien. Ce que je veux, c’est qu’ils me regardent dans les yeux, et je saurai s’ils disent la vérité. Qu’ils me disent s’ils l’ont fait ou pas. »

Bley Bilal Mokono: « Ma vie est derrière moi. Je ne suis pas là pour moi aujourd’hui. Je suis là pour mes enfants. » Les deux prévenus du box sont debout depuis deux trois minutes. La présidente donne la parole aux prévenus. Jawad Bendaoud: « J’ai pensé que les mecs étaient suspects, qu’ils montaient sur des braquos, du traffic ou quoi. J’ai jamais pensé qu’on me ramenait des terroristes. »

Mohamed Soumah: « J’ai fait l’imbécile, je ne suis pas un assassin. J’ai une soeur handicapée comme toi Bilal. Lui (Jawad), il ne savait pas. J’ai toujours dit qu’il ne savait pas. Je suis désolé Bilal. J’ai mal jugé la situation. » Le frère d’Hasna Aït-Boulahcen, troisième prévenu s’adresse aussi à Bilal Mokono: « Tu as toute ma compassion. Mais je n’ai pas choisi ma famille .»

« Vive la France, vive la République », termine Bilal Mokono. Des applaudissements accompagnent la fin de son intervention, très probablement un moment fort de ce procès.

«Derrière ces attentats, il y a tout un réseau et chaque rouage a compté»

Durant la suspension d’audience, J. Bendaoud s’est entretenu avec une des parties civiles qui a perdu deux soeurs dans les attentats des terrasses. Il a ensuite conversé avec M. Soumah plusieurs minutes avant que les gendarmes ne se repositionnent entre les deux prévenus.

Reprise de l’audience avec la poursuite des témoignages des parties civiles. Cette dame a perdu son fils de 24 ans à une des terrasses, le 13 novembre 2015. « Ce qui m’a donné envie d’’intervenir, ce procès me semblait, jusqu’à aujourd’hui, déconnecté de la réalité. Les prévenus ne sont pas responsables de la mort de nos enfants. Derrière tous ces terroristes, ces attentats, il y a tout un réseau et chaque rouage a compté, soit pour l’organisation, soit pour la fuite. »

Me Mouhou, qui présente une des victimes du 48 rue de la République, propriétaire de l’appartement que Jawad Bendaoud détenait comme squat, demande à ce que le nom de la personne ne soit pas cité par les médias. La présidente rappelle le principe de la liberté de la presse. L’ex-locataire est parti en septembre 2015 (600 euros le loyer), sans prévenir le propriétaire. Ce dernier apprend deux jours après l’assaut du RAID que son bien était squatté.

Il ne connaît pas Jawad Bendaoud. Il n’habite pas dans le coin, dit-il, précisant que le locataire était là depuis 13 ans. Une expertise a jugé son appartement aujourd’hui inhabitable. « J’ai une ardoise de charges pour le syndic, et je suis aujourd’hui au chômage », répond-il à une question de Me Mouhou. Un autre propriétaire s’avance. Son bien se situe également au 48 rue de la République à Saint-Denis, immeuble mitoyen au 8 rue du Corbillon, cible de l’assaut des forces de l’ordre.

Son nom et celui de son frère sont cités par Le Parisien, le 19 novembre 2015, à l’époque, comme marchand de sommeil. Le 20, Libération, poursuit-il, évoque trois frères propriétaires de la rue du Corbillon. Un article de presse évoque même Jawad Bendaoud comme l’homme de main de ce monsieur: « Je me sens ridicule par rapport à ceux qui ont perdu des proches mais je ne fais pas de hiérarchie dans les douleurs. Il y a celle d’une petite fille qui voit son père emmené par les forces de l’ordre. »

« La mairie n’est pas là pour aider les gens, mais pour les enfoncer »

Les informations à l’origine de ces infos erronées sont parties d’un adjoint à la mairie de St-Denis, rappelle ce propriétaire. «Ces déclarations m’ont associé à ces massacres, à ces actes terribles…. Pour la mairie de Saint-Denis, je demande des excuses ». « Mon cher confrère, vous pouvez venir vous excuser maintenant !», demande Me Mouhou à un des représentants de la commune du 93. C’est la troisième fois que les deux hommes d’apostrophent au cours de ce témoignage.

Egalement assistée de Me Mouhou, cette propriétaire a préparé un texte à lire: « J’ai été choquée que l’on me demande pourquoi je me suis constituée partie civile. Cela me paraît tellement évident (…) J’ai eu la chance de ne pas avoir été présente le jour de l’assaut. Sinon, je n’aurais pas pu, comme beaucoup, venir témoigner »

Cette PC, appartient au collectif du 18 novembre: « Je ne sais pas si les prévenus savaient que c’était des terroristes mais ils ont eu, je pense, un procès équitable. Mais ils doivent prendre conscience qu’ils ont une responsabilité. »

A la barre maintenant, le Syndic de l’immeuble (depuis 2009). Des travaux ont été votés lors d’une AG et arrive l’assaut du RAID. « La mairie fait fermer l’immeuble. On se retrouve avec des gens dans une détresse absolue. Et plus on est modeste, pus on est dans merde. Je suis venu aujourd’hui pour ça. »

PC: « Heureusement que l’on avait des fonds de travaux. C’est avec ça que l’on paie les assurances, les avocats. La mairie n’est pas là pour aider les gens, mais pour les enfoncer. »

D’après le syndic, on empêche les gens de retourner dans l’immeuble. Ils ne peuvent pas récupérer leurs affaires. « C’est le RAID qui a délogé les terroristes, donc ce n’est pas un acte de terrorisme, considère-t-on chez les assurances. Je trouve ça tout simplement injuste. » Le syndic du 48 rue de la République/8, rue du Corbillon

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